Obscures éclaircies [Fant0matique & Killy]

Notre scène s'est déroulée il y a 3 mois, soit 3 mois après l'incident qui coûta sa vieillesse à Keith Lyder. Drôle de destin que d'être ainsi privé d'un vieillissement mérité ! Mais cela ne semblait que peu affecter l'état d'esprit du responsable des Axebreaker, qui était davantage préoccupé par sa mémoire, vacillante, et qui allait lui jouer des tours en ce jour même.

Il y a une centaine de jours de cela, Keith, pris par de violentes insomnies chroniques, décida finalement de se lever pour de bon. L'imposante horloge, vestige et l'un des symboles de la puissance passé de sa famille, n'indiquait qu'1h55 à l'extrémité de ses deux aiguilles.

- Une tasse de café, et je ne craindrai nullement la fatigue ! tenta de se convaincre Keith, un sourire non moins amère sur la figure.

Une fois le breuvage ingurgité, il se plongea dans une des nombreuses encyclopédies d'histoire qu'il possédait. On pourrait croire que Keith ne s'adonnait à la lecture qu'à ses heures perdues, or il n'en était rien, puisque la 'lecturophilie aigüe' qui l'habitait (comme il aimait bien le dire de lui-même) était même parfois une cause de conflit entre lui et Hana, son ex-femme, qui lui reprochait de préférer ses bouquins à leurs ébats conjugaux !

Le commun des mortels semble s'endormir au fur et à mesure que le nombre de pages à lire diminue, mais pour Keith c'était totalement l'inverse : plus il lisait, plus il voulait en savoir davantage, et donc plus sa passion naissante l'empêchait de sombrer dans les méandres de Morphée. C'est ainsi que les heures défilèrent les unes après les autres, jusqu'à ce que l'on fit sonner tierce (Tierce, au Moyen-Age, correspond à 9 heures, ND Fred ).

Toujours absorbé par ses lectures, Keith ne se rendit pas compte des bruits de pas qui ne manquaient pas de résonner dans la pièce centrale de la maison (là où se situe les escaliers en marbre qui mènent à l'étage supérieur de la demeure des Axe)...

Comme à son habitude, Roxxane, déambulant dans son petit appartement, se torturait les méninges pour des inepties. Elle se sentait seule, n'arrivait ni à lire ni même à écrire et, dans ces moments-là, elle ne pouvait faire qu'une chose : se ronger les sangs. Mue par une subite inspiration, elle se leva donc, se tourna face à son miroir, et commenca à s'apprêter pour sortir se changer les idées. Se pomponner, déjà, la divertissait. Elle enfila donc de grands bas noir et blanc rayés verticalement, une petite robe courte avec des cerceaux et des bottines vernies, se noua les cheveux sur le côté avec un ruban, se maquilla, attrapa une veste et sortit.
Le froid la submergea et le rouge lui monta aux joues, mais cela ne pouvait que la revigorer, et Roxxane se félicita de son initiative. Elle marcha sans rencontrer âme qui vive -car après tout il n'était que neuf heures du matin, et si Roxxane était matinale, ce n'était pas le cas de la plupart des Essèniens. Ses pas, tout naturellement, conduisirent la jeune fille à la porte de ses anciens appartements, la noble demeure des Axebreaker. Sans réfléchir, elle entra, et commença à arpenter les pièces, heureuse de retrouver l'atmosphère confortable et familiale d'une partie de son enfance.
Plongée dans des souvenirs agréables, elle ne songeait plus au reste, et faisait claquer ses bottines sur le sol avec un certain plaisir...

Keith était toujours plongé dans sa lecture quand un bruit se fit entendre. On frappait à sa porte.

" Qui est-ce ? fit-il, tout en restant absorbé par sa lecture.

- Votre valet, Monseigneur, je viens m'occuper de votre chambre.

- Vous pouvez entrer", fit Keith, un brin contrarié car cela était synonyme de retraite forcée de sa propre chambre.

N'ayant plus rien à y faire, il se contenta de prendre le premier pull qui reposait à même le sol (quel scandale lui aurait fait Hana-la-maniaque pour cela, si elle avait été encore ici ! songea-t'il) et sorti, alors que son valet de chambre avait déjà pénétré son antre.

L'esprit encore au trois-quart plongé dans ses dernières lectures - un récit d'un moine de la fameuse abbaye de Cluny, qui y détaillait sa vie chaste et pure - il descendit les marches de son pavillon.

Ayant négligé de s'équiper de ses lentilles, il remarqua au dernier moment qu'une présence ornait la pièce centrale. Passant à côté, il lui glissa un 'Bonjour, Madame', avec un ton certes respectueux, mais qui trahissait quelque peu l'indifférence qu'il éprouvait parfois pour les gens avec lesquels il n'avait aucun centre d'intérêt en commun.

Mais quelques secondes après, il s'arrêta, et lentement, retourna d'abord son visage, puis le reste de son corps : il se rendit compte alors que Roxxane était là...

Alors que Roxxane était absorbée par une vieille photo sur laquelle elle était assise, rieuse, à côté de sa tante Beyond et de sa soeur Chidori, elle entendit un discret "Bonjour, Madame" et sursauta violemment, arrachée à sa contemplation. Elle se retourna et scruta sans mot dire le nouveau venu, se demandant pourquoi Keith -puisque c'était lui- n'avait rien ajouté et continuait son chemin. Elle se planta toute raide sur ses jambes et, lorsque, comme réalisant tout à coup qui il venait de saluer, il se retourna, elle le regardait de travers, impavide. Elle se racla la gorge :

-Euh, tu m'ignores ? Et moi, c'est "mademoiselle" !

N'attendant même pas une réponse, Roxxane enchaîna :

-Maintenant que tu me le dis, je ne sais même pas ce que je fais ici (notons que Keith n'avait rien dit du tout). J'étais un peu mélancolique et je suis arrivée ici sans m'en apercevoir... Peut-être qu'inconsciemment je voulais te voir. Ou que je voulais revoir la maison. Ou que c'est le chemin que je fais le plus souvent. Ou que...

Puis, s'interrompant brusquement :

-Bref. Je suis contente de te voir, Keith-chan. Je ne te dérange pas au moins ?

La volubilité de sa fille adoptive n'aida pas Keith à vraiment comprendre le sens de ses propos, et celui-ci se sentait vraiment bousculé dans ses pensées. Puisque celle-ci semblait ne pas vouloir lui laisser de répit, il était inutile de chercher à justifier son erreur. De toute manière il connaissait bien Roxxane sur ce point-là, lorsqu'elle est de mauvaise humeur, elle est capable de débiter un flot de parole à la limite de l'indigestion.

" Je suis également content de te voir, Roxxane, lui fit-il posément, reprenant ses esprits.

Il s'agissait désormais de tenter de canaliser son énergie négative et de l'orienter de telle sorte que celle-ci se disperse, puis se désagrège. Il ne lui fallut que 2 secondes de réflexion avant d'enchainer ainsi.

" Tu es toute pâle, pour changer, et ça ne m'étonnerait pas que tu sois encore partie de chez toi sans prendre la peine de te nourrir. Roxxane, tu sais, même les oiseaux picorent des graines...

Le ton donné voulait davantage faire ressortir le côté humoristique de ses propos, mais sans attendre que sa fille réponde, à son tour il ne se laissa pas interrompre :

- Tu arrives à point nommé en fait, je n'ai rien mangé non plus. Allons donc au salon, on y prendra notre petit-déjeuner ensemble, comme autrefois.

L'invitation était lancée. Il tourna le dos à sa fille et se mit en marche vers le salon.

Toujours impassible, Roxxane écouta son père adoptif ironiser sur son teint, ainsi que lui proposer de manger ensemble, et se dérida, mine de rien. Elle sourit à Keith, minusculement mais avec chaleur, et reprit un ton plus engageant :

-Tu devrais, depuis le temps, savoir que je suis blanche de nature et qu'en outre je... triche un peu. L'oiseau picore et ne s'en prive pas, ne t'en fais pas.

Elle suivit Keith au salon, s'assit sur le sofa, et étira ses jambes mollement.

-J'ai grignoté un biscuit avant de venir, mais j'accepte volontiers ton invitation. Je veux bien un chocolat chaud, s'il te plaît. Avec deux sucres.

Roxxane avait l'incorrigible manie de trop sucrer ses boissons, et de trop saler ses plats. Brûlant, sucré, doux... tout ce qu'elle aimait. Et si c'était en compagnie de Keith, le monde s'ouvrait soudain à de nouvelles perspectives.
Tandis que ce dernier allait à la cuisine, elle regarda encore une fois autour d'elle, et, contente, elle cria, se mettant avec un air complice à vouvoyer Keith :

-Et comment allez-vous, très cher ? Cela fait bien une semaine que nous ne nous sommes vus.

Elle se tut un instant, avant de reprendre avec une gravité effarouchée :

-Tu sais, je suis vraiment contente de te voir.

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